Cher Monsieur le Percepteur des impôts

Très cher Monsieur (cher, c’est le mot),

Je me permets de vous écrire tout juste rentrée de vacances, les valises encore en vrac dans le salon et de quoi remplir 5 machines à laver en dépôt sur mon lit.

Pourquoi une telle missive ? Et bien parce que figurez vous que vous êtes toujours le premier à me souhaiter, à votre manière si particulière, une bonne rentrée, en m’envoyant cette enveloppe à fenêtre que je redoute depuis deux mois.

Enfin pour être tout à fait exacte, je ne la redoutais pas jusqu’à présent, car je n’ai jamais été imposable, l’Education Nationale payant visiblement bien moins que ce que notre cher ministre a l’air de le croire. Oui mais voilà, ma situation a changé. J’ai divorcé. Je me retrouve donc avec un seul salaire, le mien, et par un obscur et sadique calcul, vous m’avez informée que désormais je faisais partie de cette bande de petits veinards qui travaille presque 15 jours pour Marianne. Je n’ai toujours pas très bien saisi comment perdre le salaire de Microbe’s Dad me rendait d’un coup plus riche, mais je n’ai pas osé poser la question à la gentille personne que j’ai littéralement fait chier pendant 3h au téléphone pour aider l’handicapée de la paperasse que je suis à remplir sa première déclaration solo. Et comme je n’ose pas la rappeler sous peine d’être responsable d’un suicide supplémentaire au sein de notre belle Administration française, je me permets de vous exposer ce que j’ai cru comprendre de nos fabuleux et très longs échanges. Surtout n’hésitez pas à me reprendre si j’ai tout faux.

Votre Situation Fiscale

J’ai dans cette partie résisté vaillamment à cocher la case : « victime de guerre ». Je crains que nous ne parlions pas de la même guerre, mais je vous prie de me croire monsieur, je suis la victime d’une guerre conjugale, suivie d’une guerre judiciaire, précédant une guerre paperassesque pour légitimer mon divorce et mes deux déménagements. Je m’autoproclame également victime de la guerre aux kilos et de la guerre permanente pour garder mon salon-territoire à l’abri des troupes ennemis-Barbie et Petit Poney. Et enfin, et par-dessus tout le reste, je suis la pitoyable victime de la guerre froide sans fin contre les amas de poils de chat qui résistent encore et toujours à l’aspirateur.

Alors, je peux la cocher la case ?

Personnes à charge

Loin de moi l’idée de considérer Microbe comme une « charge » (cette phrase c’est pour ma maman si elle me lit hein…)

Mais…

BREF. Je m’empresse de cocher furieusement la case « enfant à charge », si fort que je troue la feuille.

Et là encore la logique de la Grande Administration Française m’a surpris. Avec Microbe’s Dad, on s’est concocté un petit planning de garde pour Microbe, vous m’en direz des nouvelles. Ce faisant, au lieu de nous décerner la médaille du mérite spécial « parents divorcés qui ne se hurlent pas dessus et qui ne se servent pas de leur gnome pour pourrir l’autre » et de nous donner gracieusement une demi-part à tous les deux, les Impôts nous balancent un quart de part chacun.

WTF ???

Mon très cher Percepteur, je suis certaine qu’il s’agit d’une ridicule méprise, une erreur parfaitement involontaire de votre part n’est ce pas ? Certes Microbe vit chez papa puis chez maman puis chez papa etc… mais il est évident pour vous, j’en suis sûre, que cela ne divise pas les frais par deux. En fait, ça les multiplie. Car à moins de se balader chaque weekend avec une malle digne du vanity de Miranda Priestly à la Fashion Week (enfin, monsieur le Percepteur, vous avez lu Le Diable s’habille en Prada, n’est ce pas ?), Microbe nécessite 2 paires de baskets, 2 paires de sandales, 2 sacs à dos, 2 manteaux etc…le tout coutant au bas mot la peau du bas du dos. Et donc pour m’aider à affronter les pieds qui ont encore grandi et le jean encore déchiré au genou, vous divisez donc par deux mon nombre de part. Trop aimable…

Revenus

Cette page est celle qui me fait le plus rire. Parce qu’elle étale devant moi en tout petits caractères tous les types de revenus que je n’aurai jamais. Moi je remplis la première ligne « traitement, salaires ».

Mais la case que j’adore par-dessus tout, c’est la dernière : Revenus exceptionnels. Dans ma tête, ça veut dire « autres ». Et tous les ans, je me retiens de vous déclarer, de peur que vous n’ayez pas vraiment le même humour que moi, pauvre petite contribuable, des revenus exceptionnels provenant de la vente d’une poudre ressemblant à du sucre qu’un jeune de la té-ci d’à coté a laissé tomber (c’est fou l’appétence des jeunes pour le sucre vous ne trouvez pas ?), ou des rentrées faramineuses depuis que j’ai copiné avec Don Diego qui traite des affaires avec des cousins italiens que j’héberge sur mon clic-clac et dont les étuis à violons envahissent mon entrée…

Vos charges

Partie que j’abhorre par-dessus tout le reste et qui me balance en pleine figure que :

- je n’ai pas de petit patrimoine caché qui me rapporterait une fortune en "CSG" (quescekça ???)

- je ne touche pas de pension alimentaire, ayant eu la malchance de ne pas divorcer d’un millionnaire avec une particule à son nom de famille

- je n’ai pas d’épargne retraite, mais sans plaisanter, pourriez-vous m’affirmer que je serai un jour à la retraite ? Parce que tous les ans, la date d’échéance recule de 2ans, alors…quand j’avance, tu recules, comment veux-tu, comment veux-tu…

- je ne donne rien du tout aux associations. Je sais, honte à moi, mais j’ai encore en mémoire le scandale de l’Arc…

- niveau frais de garde je suis pour vous à zéro. Oui parce que la garderie de l’école, ça compte pas. Pour avoir droit de cocher cette petite case, j’aurais dû employer une assistante maternelle. Alors là, excusez mon impertinente curiosité, cher Percepteur, mais vous avez des enfants ? Oui ? Alors juste une fois, juste pour rire, faites le test et faites comme si vous étiez moi : appelez la PMI, et expliquez que vous êtes prof donc que vous ne connaîtrez votre emploi du temps qu’au dernier moment, qu’il risque fort de changer tout le temps, sans oublier les conseils de classe qui finissent à pas d’heure et les portes ouvertes du samedi matin et que vous n’aurez pas besoin de nounou pendant les vacances scolaires : la dame au bout du fil va vous rire au nez. Si vous osez rajouter que ce serait quand même super si la nounou en question ne gardait pas en même temps 8 autres enfants et qu’elle parlait un français à peu près correct, on va vous raccrocher au nez. Alors vous ferez comme moi : vous mettrez Microbe à la garderie que vous paierez plein pot parce que vous êtes une horreur de petite fonctionnaire bourgeoise (mais sans le CCP qui va avec).

- dépenses en faveur de l’habitation principale. Là au début, je me suis dit : « chouette ! Ressortons les factures de Ikea et Leroy Merlin !!! ». Enthousiasme de courte durée quand j’ai vu qu’il s’agissait juste des dépenses en faveur de la qualité environnementale. Laissez moi vous dire Monsieur le Percepteur que mon environnement a été grandement amélioré par l’installation d’une délicieuse petite horloge de chez Conforama et de jolies plantes vertes made in Jardiland. Alors, ça compte ça ou pas ?

Divers

Comptes bancaires à l’étranger : « Je démens catégoriquement les allégations contenues sur le site Médiapart. Je n’ai jamais eu de compte à l'étranger, ni maintenant, ni avant »

Des questions ?

Alors Monsieur le Percepteur, je vais vous envoyer le chèque du montant demandé rassurez-vous. Mais je l’enverrai la veille de la date limite. Petit mouvement d’humeur qui je le crains sera aussi celui de milliers de petits contribuables à l’humour un brin sadique en cette rentrée, vous laissant désemparé le bureau vide pendant des semaines, pour, le 15 octobre tout pile, vous voir vous noyer dans les milliers de missives…

A moins bien sûr que…

Non, je n’oserai jamais….

Si ?

Allez Monsieur le Percepteur, vous oubliez de m’envoyer la facture cette année, on oublie tout et même que je vous appellerai pour vous souhaiter la bonne année, ça marche ?

Trinity